Lettres du bout du monde ... |
Je suis devenue une experte, mais le stress est toujours là ! |
Ne vous y trompez pas, j'adore ce que je fais ! Quelque
soit le pays ou le situation, les besoins sont évidents :entre 3
et jusqu'à 30 anesthésies par jour (suivant les situations)
aussi bien pour de graves blessés de guerre que pour une césarienne
ou un enfant qui s'est fracturé la jambe en jouant ... Chirurgie
réglée, urgences, jour et nuit, semaines et week-end.
Nous opérons dans toutes les spécialités chirurgicales
et je profite de mes retours en France pour "réviser" mes
cours et me "remettre à niveau".
D'un point de vue pratique, je dispose d'un minimum de drogues : Valium*, Kétamine, Nesdonal, Vécuronium et Célocurine*, Pentazocine*, Xylo 1% et 2% et pour les rachi Xylo 5 % et Marcaïne 0,5 %. L'oxygène ? On s'en passe assez bien (ne soyez pas choqués, c'est la vérité !) et de toute façon, quand il y en a, on en donne 2 l /mn maximum ... c'est si rare et si cher ! Ajoutez Atropine, Adrénaline, Ephedrine et comme solutés : Ringer, Glucosé 5% et Plasmion. Le tout est à économiser avec le plus grand soin.
Les anesthésies les plus courantes se font à la Kétamine que ce soit pour des gestes simples ou pour des grosses interventions (laparo, thoraco). Puis les loco-régionnales : rachi, bloc axillaire, bloc de pied ... et tant d'autres !
Les accidents sont rares (heureusement !!) : le plus courant étant l'allergie au Plasmion* mais le plus souvent, sans conséquences.
Le plus stressant pour moi sont les césariennes
réalisées dans des conditions plus que limites : les femmes
arrivent à l'hôpital après plusieurs jours de souffrances
où quelques personnes ont déjà essayé de multiples
"pratiques" ... Résultats : des bébés le
plus souvent morts, macérés et des femmes épuisées
souvent victimes de ruptures utérines. Tableau septique majeur accompagné
d'hémorragie ... Malgré tous nos efforts, les décès
sont nombreux, sans oublier que je suis seule pour la réanimation
de la mère et du nouveau-né ...
Parlons-en de nos efforts ! Ils sont là-bas les mêmes qu'ici mais ils sont souvent bloqués par des éléments extérieurs : quasi impossibilité de transfusion (problèmes ethniques, croyances vis à vis du sang, priorité aux combattants et non aux femmes, sans parler des risques de la transmissions HIV, hépatite, syphilis ... et des dangers d'une conservation aléatoire !), pas de réanimation post-op (pas d'oxygène, pas de drogues de réa, manque de surveillance) et je n'oublie pas le manque de personnel qualifié (qui s'est exilé, a fuit les combat ou est décédé aux cours des nombreuses années de guerre).
Et j'en viens à mon plus grand regret: je n'ai pu former personne au cours de ces 2 ans, je n'ai pas pu transmettre mes connaissances. J'ai travaillé dans des pays dévastés par des années de guerre et si je vais là-bas, c'est qu'il n'y a pas d'anesthésiste du pays. J'aimerais vraiment pouvoir partager mon savoir (si spécial) ... avant mon retour en France qui sera un autre défi ! Voilà ! Je voulais partager mon quotidien avec vous. Car comme vous l'aurez compris, dire que l'anesthésie comme je la pratique me comble est un euphémisme ! Cette spécialité me permet de vivre pleinement mon engagement humanitaire : aider, soulager, sauver, assister des personnes qui sont démunies, que tout le monde oublie et dont je me rappelle chaque visage. Chaque pays qui m'a accueillie est le reflet d'un drame et toutes mes rencontres me laissent des traces indélébiles. Je garde le souvenir de ces civils afghans fuyant une guerre qui les dépassaient, ces enfants rwandais au regard perdu et au ventre vide qui vivent dans des abris de fortune, ces femmes burundaises pour qui accoucher est un si grand risque, ces si jeunes combattants tamouls victimes du fanatisme de leur chef et qui sont estropiés à vie et tant d'autres, victimes du Sida, de la tuberculose, du tétanos, d'une méningite (qui à part l'anesthésiste va faire une P.L ?) ou simplement d'une rougeole ... Qui parle de toutes ces guerres et de ces gens ?? Moi ! Aujourd'hui car mon coeur est trop plein et je piétine d'impatience avant mon prochain départ dans quelques jours, je l'espère ! Merci de m'avoir lue et bon courage à tous. Catherine.. |